mardi 4 mars 2014

Un samedi matin à ne pas manquer



La dernière fois quand j'étais en Hongrie, j'ai fait une visite éclair dans le grand marché couvert de Budapest, qui s'appelle Vásárcsarnok. C'était le jour de notre retour en France et j'ai dû faire encore beaucoup de choses, surtout chercher un ingrédient assez spécifique sur lequel vous allez lire très prochainement, j'ai pris quelques photos pour vous montrer l'ambiance de ce marché. 

Durant toutes mon enfance et adolescence, je suis venu faire des courses avec mes parents et avec mon frère, un rituel immuable chaque samedi matin. Nous habitions un tout autre quartier de la ville mais la réputation de ce marché nous attirait: il y a toujours un grand choix de produits et généralement de bonne qualité. Bien évidemment nous avons notre boucherie, ou notre stand de légumes, et la dame qui vend les meilleurs pickles maison. « Madame, vous avez trois très beaux enfants ! » s'est exclamé une vendeuse. Mon père avait-il une tronche de jeunot, ou ma mère semblait-elle trop fatiguée par les courses, allez savoir... Quand nous sommes à Budapest, mes parents emmènent leurs petits enfants (ma fille et mon fils, logiquement) au marché que les bambins aiment par-dessus de tout. Cette relation passionnelle n'est certainement pas étrangère au fait que les commerçants gavent littéralement les enfants:  des petits cornichons ici, un beignet là-bas. Ils font goûter leurs produits aux touristes aussi. Les vendeuses sont de toute façon les véritables membres de la famille, ils vous bichonnent, mais ils ne sont pas des êtres surnaturels et peuvent se tromper. Un de ces samedi matins sacrés, nous traînions dans les pas de ma mère toujours énergique avec mon frère et mon papa. 



Durant sa rénovation au début des années 1990, le marché fonctionnait dans un endroit proche, la cérémonie de samedi matin restait. Ma mère achète souvent ses légumes chez une vendeuse bulgare. Les bulgares, arrivés dans les environs de Budapest avant la Première Guerre Mondiale, sont réputés pour l'agriculture maraichère qu'ils ont développée durant les décennies. (Si vous voulez découvrir la face cachée de Budapest, visitez l'église orthodoxe de la communauté bulgare de Budapest, 15 rue Vágóhíd). 


Au rez-de-chaussée vous trouverez les stands de légumes, les bouchers, les boulangers, les crémiers et les produits laitiers. (Astuce: selon une opinion largement répandue, en partant de l'entrée principale les rangées de gauche sont moins chères et c'est là que l'on trouve moins de tresses de paprika et autres appâts pour touristes). Dans les sous-sol, on trouve les pickles (le csalamádé national, notre force et consolation dans les méandres de la viande grasse), la choucroute aigre-douce, cornichons maisons et autres. C'est l'endroit consacré aux poissons d'eau douce et au gibier (souvent surgelé, mais on peut dénicher du produit frais également). Au premier étage, c'est la cantine. Des estaminets, des lacikonyha (mot à mot: la cuisine de László du nom d'un malheureux roi Jagellon du XVIème qui a largement préféré les mets simples du marché aux plats raffinés de ses propres cuisiniers; une sorte de rôtisserie foraine, proposant des boudins, saucisses et des ribs), des petites brasseries. Attention: il est strictement interdit d'y acheter des t-shirts avec l'inscription « I love Budapest » ou la miniature en porcelaine de la Bastion des Pêcheurs: tout a une limite. De toute façon, la marchandise kitsch vous sera confisquée à l'aéroport Liszt par la terrible Taste Police, fraîchement mise sur pied. 

L'intérieur du Vásárcsarnok en 1930 (source: fortepan.hu)

Le Vásárcsarnok a sa propre raison d'être et sa propre histoire. La mairie de la ville fraîchement unifiée était déjà préoccupée par les conditions sanitaires et hygiéniques des quelque 44 marchés de la ville et à la suite d'âpres discussions, elle a décidé de lancer la construction des marchés couverts. (L'idée initiale était lancée par un ingénieur français, Besnier de la Pontonerie, dans son mémorandum adressé en 1872 à la mairie, et qui, par la suite était écarté du projet). 


Entre 1894 et 1903 six marchés ont été construits dans la capitale, composée de 10 arrondissements à l'époque. Le premier, le nôtre a ouvert ses portes en 1897 (censé à être fini aux fêtes millénaires de l'Etat hongrois en 1896, le respect des délais n'était pas traditionnellement le point fort de l'industrie du bâtiment en Hongrie) en premier. Sa construction a duré plus que deux ans et le projet a été confié à un architecte de renom de l'époque, professeur à l'Université technique, Samu Pecz. Son attirance pour le style néogothique et sa rigueur peuvent être observés dans ses autres projets de renom, dont l'église calviniste de Szilágyi Dezső tér, premier édifice de ce genre à Buda, très visible au bord du Danube et pour les connaisseurs: largement décoré de symboles maçonniques). On doit également à Pecz, entre autres, le bâtiment des Archives Nationales dans le quartier du Château et l'Académie de la Marine à Fiume (aujourd'hui Rijeka sur la côte croate de l'Adriatique). Pour le marché couvert, l'architecte a prévu des tunnels souterrains afin de faciliter le transport des marchandises à partir des quais et des voies ferrées pour le même effet. Vásárcsarnok était toujours plus qu'un endroit pour les courses: symbole de la modernité de la ville, promesse de la marchandise pas chère et directement acheminée par les producteurs, volonté de vivre et de faire du commerce. 

Et faire de la bonne cuisine, bien sûr.




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